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Compte rendu

Projet Europe who are you ?





Bourse AVI International - Edition 2017

Un projet mené par

Lucas Leroy


Le projet de documentaire "Europe Who Are You?" est né d'une volonté de comprendre l'Europe d'aujourd'hui et les crises qui la traversent. Il est mené par deux personnes : Lore Janssens (belge, chercheure en anthropologie) et moi, Lucas Leroy. Je suis français, juriste dans les droits de l'Homme et vidéaste.
L'immigration importante de 2015 et la réaction surprenante de l'Union européenne, ayant un réflexe de fermeture et de protection égoïste, nous a choqués. Ce désaccord amène une question claire : qui est l'Europe, si elle agit ainsi ? Et puisque l'Europe n'agit pas de son propre chef mais reflète l'opinion de ses ressortissants, pourquoi les Européens approuvent-ils cette action ?


Nous avons pris conscience que nous étions enfermé.e.s dans une bulle contenant uniquement des opinions auxquelles nous adhérions déjà, formées en Europe de l'Ouest, pour des Européens de l'Ouest, et nous avons pris conscience de notre ignorance de la vie dans la plus grande partie de l'Europe, et donc de notre ignorance concernant les motivations quotidiennes de la plus grande partie des Européens.
Il nous paraissait essentiel de tenter de donner une voix à ceux que nous, Européens de l'Ouest, n'entendons pas, afin de pouvoir comprendre et apprécier les différences de culture et d'opinions.


I. La préparation du projet

Ce projet est une aventure pour nous, qui n'avons jamais produit de documentaire. Nous avons fait des études de droit et d'anthropologie.
Il a fallu poser les bonnes questions, précises, afin d'encadrer l'objet de nos recherches. Nous avons commencé par discuter entre nous, et avec des ami.e.s. Ces questions devaient porter à la fois sur le fond et sur la forme, car ils interagissent. La forme nous contraint, on ne peut pas partir du postulat que l'on aura accès à toutes les informations que l'on souhaite ; on voit déjà se dessiner l'obstacle de la barrière de la langue. Que voulons-nous savoir, et comment voulons-nous le transmettre ?


Nous voulons savoir comment l'Europe se manifeste dans la vie des Européens. Cette phrase assez conceptuelle était la base de notre raisonnement. Nous devons déjà nous demander comment elle se manifeste dans nos vies à nous. Nous avions bien sûr l'exemple du voyage, la traversée de frontières avec seulement une carte d'identité, sans parfois même qu'il n'y ait de contrôle, mais au-delà de ça, car c'est plus profond, pourquoi avons-nous les idées que nous avons, notamment sur le thème de l'immigration mais aussi concernant notre vision d'autres pays européens ?
L'idéal pour nous était de pouvoir suivre quelques individus dans leur vie quotidienne afin de montrer, de manière très concrète, quelles sont les inquiétudes, les motivations, les opinions et les influences de chacun. Nous souhaitons montrer les difficultés d'une personne face à l'administration de son pays subissant une discrimination du fait de sa religion, de son ethnie ou sur la base de tout autre fondement. Nous voulons montrer l'envers du décor, les peurs qui motivent les opinions hostiles et la fermeture des frontières européennes, si ce n'est celle des frontières nationales.


L'approche est résolument plus anthropologique que juridique. Il a fallu que je me mette à niveau grâce à des livres et articles que Lore m'a mis à disposition. Lore m'héberge, chez elle à Louvain en Belgique, pour que nous puissions passer du temps ensemble et réfléchir au projet de manière continue et nous rédigeons vite un questionnaire pour des interviews préparatoires. C'est dans cette ville que nous réalisons nos premières interviews, c'est notre premier contenu réel. A côté de l'enthousiasme de commencer pour de bon, nous nous heurtons à la réalité des entretiens. Comment faire dire à quelqu'un l'essence de son comportement dans une approche européano-anthropologique ?


Le questionnaire type que nous avions confectionné nous empêche de laisser la personne dire ce qu'elle veut vraiment dire et encadre son propos selon les présupposés que nous avions concernant ses réponses. Nous l'abandonnons.
Nous essayons de privilégier une approche plus personnelle et subjective, en demandant presque à la personne de nous raconter sa vie, en lui laissant au maximum la parole, en l'orientant seulement parfois.


Nous contactons en parallèle des ONG dans plusieurs pays majoritairement est-européens ainsi que toutes les personnes de notre réseau personnel susceptible de fournir un appui une fois sur place, en terme de recherche d'interlocuteur ou plus trivialement d'hébergement.

Nous sommes mi-juillet, il est temps de partir.



II. Le voyage


Pour des raisons personnelles, Lore ne peut finalement pas voyager avec moi. C'est la première difficulté, mais nous ne nous laissons pas abattre, nous serons en contact en échangerons toujours sur la marche à suivre.
Je prends donc le train, seul, à Bruxelles pour Heidelberg, en Allemagne, mon premier arrêt. J'y ai une amie que je n'ai pas vu depuis longtemps mais avec laquelle j'ai gardé contact. Elle est très intéressée par le projet, et m'offre de m'héberger. Je poursuis les conversations, et, quand je peux, les interviews. Elles me donnent plus de perspective, ainsi qu'un point de vue un peu différent à chaque fois.


Un ami de cette amie offre de m'héberger et me faire visiter son petit village, Blumweiller, où un centre de réfugié a été installé il y a quelques années ; il s'y est fait des amis. Je rencontre quelques réfugiés, mais je ne peux malheureusement pas rester très longtemps. Lore et moi l'avions présagé, il sera difficile de pouvoir montrer la vie quotidienne des personnes que je rencontre, de manière pertinente, en ne passant que si peu de temps avec eux.


Les villes s'enchainent donc, à Berlin, puis en Pologne à Varsovie, Kielce et Cracovie. Le focus a changé, nous savons que nous ne pouvons pas passer autant de temps que nous le voulions avec les personnes rencontrées, ami.e.s ou membres d'associations, en vivant avec eux. Je les interviewe cependant, et, autant que possible, j'essaie de garder le contact pour enregistrer une deuxième entrevue. J'accueille également volontiers leurs offres de me faire visiter leur ville ; je profite de l'ambiance décontractée et non formelle pour enregistrer ces conversations. Elles se révèlent par moment extrêmement pertinentes et sont un authentique aperçu des idées et opinions. La suppression de la formalité de s'assoir autour d'une table, la caméra posée sur un trépied face à la personne, menaçante, permet plus facilement ce que Lore et moi voulions depuis le début, l'expression normale du naturel.


En Pologne, les discours ont changé. La présence d'un régime communiste il n'y a pas si longtemps laisse des traces. Les interviews que je mène témoignent de la volonté d'une évolution dont le but est d'atteindre la situation des pays ouest-européens. La corruption devient un grand sujet, ainsi que la démocratie et la xénophobie. Les discussions que j'ai avec Heja, un Kurde turc vivant en Pologne depuis plusieurs années, sont particulièrement marquantes. Mon hôte, une polonaise rencontrée sur le site Couchsurfing, est très étonnée de le voir maitriser parfaitement la langue. Elle se dit ouverte, mais elle l'admet elle-même, dans la petite ville de Kielce il y a peu d'habitants d'une couleur de peau autre que blanche et le racisme est assez répandu.


Je loge chez un ami de Lore en Croatie. Professeur d'histoire-géographie, il me fait découvrir en même temps que visiter l'histoire des Balkans. En Serbie, je passe quelques jours avec les membres de l'association Alternative Girls Center qui, en me faisant visiter leur ville, Kruševac, m'exposent une vision similaire. Les tensions sont assez vives entre les pays des Balkans. La nationalité y est envisagée en tant que lien fort entre l'individu et le pays ; elle induit une religion donnée. Les Croates sont catholiques, les Serbes sont orthodoxes et les Bosniaques sont musulmans. Tout autre combinaison serait vue comme très anormale. Là aussi la corruption cristallise l'opinion publique et l'ouverture des opinions est difficile.


En Roumanie, je loge dans une auberge de jeunesse. Un ami de Lore, Liviu, m'aide à faire mes recherches et nous entrons en contact avec une association de défense des droits LGBT+. C'était en effet un autre volet que nous souhaitions aborder dans le projet, en tant que cause majeure de discrimination dans le monde et en Europe. Liviu et moi interviewons un réalisateur transgenre, militant de l'association. Son point de vue mélange les perspectives est-européennes et le thème LGBT+, il nous raconte les difficultés qu'il a traversées pour changer de genre et sa volonté de continuer la sensibilisation pour lutter contre les discriminations.


Bucarest était la dernière ville de mon parcours. Intense et plein de rebondissements, il nous a donnés du recul sur ce que l'Europe est, à l'échelle de ses habitants.


III. L'enseignement
Nous avons donc appris beaucoup de choses. Sur la forme, il est impossible de faire un documentaire comme nous l'aurions voulu dans les temps qui nous étaient impartis avec les moyens dont nous disposions. La recherche d'individus qui deviendront des personnages prend du temps.
Nous nous sommes néanmoins rendu compte de ces limitations tôt dans le projet, grâce à notre communication et notre préparation initiale dans laquelle nous avons essayé d'envisager tous les scénarios. Ainsi, nous avons pu réorienter le projet, qui se voulait très profond et assez exhaustif, en un simple premier tour d'horizon, un premier jet. Finalement, nous souhaitions poser la question et démontrer son importance, nous ne prétendions pas y répondre, mais donner seulement quelques pistes. Il nous semble avoir réussi sur ce point là. Même en n'ayant interviewé que des personnes issues d'un certain milieu social, ayant globalement les mêmes idées, et en étant ouvert sur ce point, la problématique est lancée.

L'Europe est un complexe mélange d'histoires nationales enchevêtrées, interagissant, parfois violement. Ce nom, Europe, qui crée d'une manière quelque peu artificielle une unité autonome, est audacieux. Alors même que le critère géographique de l'Europe est incertain, l'Europe, mot du langage commun, se veut unificatrice de peuples que l'histoire n'a pas eu nécessairement vocation à réunir, et pourtant, nous y sommes.

Tous différents mais tous accoutumés à l'idée d'être voisins, il faut apprendre à se connaitre mieux qu'au travers de lointain préjugés. Par ce documentaire, nous avons fait un pas vers la prise de conscience des un.e.s vis-à-vis des autres.




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