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Journalistes franais aux Etats-Unis
 
 

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Compte rendu

À ma place





Bourse AVI International - Edition 2016

Un projet mené par

Marine Guillaume et Aurore Chatras




Nous sommes parties durant trois mois au Pérou afin de réaliser un documentaire sur la lutte des femmes péruviennes dans l'acquisition de leurs droits. Nous avons souhaité faire un parallèle entre deux générations de femmes : celle des victimes de la campagne de stérilisations forcées d'Alberto Fujimori dans les années 1990 qui lutte depuis 20 ans pour obtenir justice et réparation et celle, plus jeune, qui aujourd'hui lutte pour dépénaliser l'avortement en cas de viol.

Une manifestation sans précédent

Le 12 août 2016, nous embarquons pour Lima. Le lendemain de notre arrivée, avait lieu dans les principales villes péruviennes, une marche historique contre la violence faite aux femmes. Plus d'un demi-million de personnes sont descendues dans les rues. Cette mobilisation n'a jamais eu de précédent dans le pays. Pour nous, ce fut l'occasion d'appréhender la manière dont la thématique de la violence de genre était considérée dans le pays.

Nous avons commencé notre travail d'investigation en suivant des ONGs et associations investies sur ces thèmes : Amnesty International, Médecins du Monde, DEMUS - Centre d'Etudes pour la défense des Droits des Femmes, Promsex et Catholiques pour le Droit à décider. Leurs représentants nous ont renseignées sur le contexte politique et social autour de ces sujets et nous avons pu les suivre sur quelques actions de terrain.

Nous avons également passé du temps avec des experts : Alejandra Ballon, anthropologue ayant mené une investigation sur le sujet des stérilisations forcées et le Dr Enrique Guevara, gynécologue et Directeur de la maternité de Lima.

En les suivant sur le terrain, nous nous sommes également intéressées aux motivations de leurs militantes qui chaque jour descendent dans les rues et organisent happenings et évènements de sensibilisation. Nous avons passé plus de temps avec certaines d'entre elles et les avons suivies dans leurs quotidiens.

C'est notamment le cas de Graciela, 23 ans, porte-parole d'Amnesty International. Derrière son apparence juvénile, Graciela fait preuve d'une volonté de fer pour faire entendre ses combats. Nous avons aussi rencontré Micaela, 27 ans, qui se définit comme une "artiviste" (artiste et activiste). Les injustices à l'encontre des femmes sont l'essence de ses performances amenées à questionner et surtout briser les tabous.

20 ans de lutte

Au bout d'un mois, nous nous sommes envolées pour les montagnes de Cuzco, pour la deuxième phase de notre travail : rencontrer des victimes et récolter leurs témoignages.

C'est dans ces régions reculées que les stérilisations forcées ont été les plus massives. Les victimes se sont regroupées en association pour faire entendre leur voix et certaines nous ont laissées passer quelques temps à leurs côtés.

Rute, Hilaria, Luisa, Felipa. Chaque témoignage est fort. Au-delà de l'épisode traumatique de l'intervention, ce sont des vies entières qui ont été gâchées par ces évènements. Depuis 20 ans, ces femmes réclament justice, mais rien ne bouge.

Au Pérou, la violence faite aux femmes prospère souvent en raison des difficultés pour les victimes d'accéder à la justice, de l'inaction des pouvoirs publics ou encore de l'absence de punition pour les auteurs de violences. La culture de l'impunité favorise la banalisation de ces violences.

En parallèle de notre travail avec ces femmes, nous nous sommes rendues dans une maison d'accueil pour mères adolescentes, la Casa Mantay. La maison prend en charge une vingtaine de jeunes filles, souvent victimes d'agressions sexuelles, avec leurs jeunes enfants et leurs fournit une attention médicale, une protection juridique, une éducation et l'apprentissage d'un métier. La visite d'un endroit comme celui-ci et les discussions avec les membres de l'association, ont été, pour nous, un souvenir très fort. En revanche, nous n'avons pas pu échanger avec des adolescentes ou anciennes pensionnaires de la Casa Mantay. Une décision des responsables que nous comprenons tout à fait.

Laissez-la choisir

En passant du temps avec des collectifs féministes, nous avons pu entrer en contact avec des femmes ayant pris la décision d'avorter, parfois à la suite d'un viol. Ces femmes, jeunes, avaient moins de 20 ans au moment des faits.

Au Pérou, seul l'avortement thérapeutique est légale. Une victime de viol qui tombe enceinte des suites de l'agression n'a aucun recours si ce n'est l'avortement clandestin. Les conditions d'intervention sont déplorables et toutes celles qui ont accepté de nous parler sont restées traumatisées par la brutalité de l'opération.

Les Péruviennes prennent le pouvoir

Après un mois et demi de rencontres dans l'ensemble du pays nous rentrons à Lima et retrouvons les associations et ONGs qui nous ont accompagnées. Les choses ont évolué depuis la marche du 13 août. Désormais on parle plus facilement des injustices faites aux femmes dans le pays. La parole s'est libérée et cette marche a réveillé la conscience collective qui, aujourd'hui, s'accorde à dire qu'il y a bel et bien un problème. Néanmoins, le chemin est encore long, une évolution des mentalités n'induit pas automatiquement un changement des comportements et les violences faites aux femmes continuent de se multiplier. Plus que jamais, les luttes de ces femmes continuent.

A l'heure du bilan

Nous rentrons en France quelques peu chamboulées, avec la volonté ferme de faire quelque chose des contenus recueillis. Jamais nous n'aurions imaginé pouvoir rencontrer toutes les personnes extraordinaires qui ont croisé notre route. Si l'expérience n'a pas toujours été évidente, nous sommes fières du chemin parcouru et du film qui est en train de naître.

A date le film n'est pas terminé. Quelques articles de presse sur notre projet ont permis à des producteurs d'entendre parler de nous. Certains nous ont contactées pour une collaboration. C'est plus que ce que nous avions envisagé au départ même si, dans cette voie, les choses prennent plus de temps que prévu. Nous espérons pouvoir rapidement terminer le montage et organiser projections et débats afin de raconter ce que nous avons vu, entendu et vécu.

Par ailleurs, nous avions initialement prévu une exposition de photos prises par nos interlocutrices que nous souhaitions organiser en parallèle des projections. La complexité du sujet et la réserve des femmes nous ont rendu la tâche difficile. Si les femmes ont accepté de témoigner devant la caméra, elles n'ont pas souhaité faire entrer un appareil photo dans l'intimité de leurs vies et de leurs familles.



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