The End. Ces mots se sont inscrits un bon nombre de fois sur le drap blanc servant d’écran au cinéma itinérant dans les villages sikkimais. Le public se dégourdit les jambes. Je range avec précaution le vidéoprojecteur dans sa housse. On décroche le drap. Un dherai dherai dhaanyabaad (merci beaucoup beaucoup) fuse parfois de la bouche d’un spectateur, comme de celle de cette vieille femme du village de Subanedaara à la fin de la projection de The Kid.
Une fin, mais toute temporaire, puisqu’une nouvelle projection aura lieu dans les jours à venir dans un nouveau village. Des projections à chaque fois différentes : nouveau lieu, nouveau public, différents films projetés. Mais aussi des projections qui ont toutes un air de famille entre elles.
Cette fois, c’est la dernière. Je suis retournée voir une famille m’ayant hébergée au tout début de la tournée. C’est une toute petite projection entre nous, comme un au revoir, ce pour quoi je suis retournée dans ce village. Je quitte le Sikkim. Les pluies ont déjà bien commencé à ramollir les montagnes, qui seront à la fin août réduites à l’état de pudding flageolant, pour reprendre une image utilisée par une habitante de Gangtok. Il faudra revenir, un jour, à l’automne, le Sikkim y est m’a-t-on dit plus beau que jamais.
Un itinéraire plus varié que prévu
Du 9 février au 22 mai 2012, j’ai parcouru la région indienne du Sikkim, organisant des projections cinématographiques dans des villages.
Contrairement à ce qui était prévu dans mon projet initial, je ne me suis pas cantonnée au seul district de l’Ouest du Sikkim et n’y ai pas nécessairement visité les villages mentionnés dans le dossier de présentation. Une fois à Gangtok, la capitale sikkimaise où j’ai passé plusieurs jours, j’ai réuni des informations sur la géographie, la localisation des villages, les contacts de personnes y vivant… De même dans chaque nouveau village, je me renseignais sur le prochain. Mon itinéraire s’est ainsi dessiné progressivement, tout au long du voyage, au hasard des rencontres et au fil des conseils amassés.
Au final, je me suis rendue dans les quatre districts sikkimais (Nord, Sud, Est et Ouest). Sur les 29 villages visités, dix se trouvent dans le district de l’Ouest, neuf dans le Nord, six dans le Sud et enfin un village dans l’Est.
La tournée en quelques chiffres
51 projections organisées dans 29 villages différents, dans les quatre districts sikkimais.
24 écoles visitées.
31 projections dans les écoles.
19 projections nocturnes, à l’intérieur ou en plein air.
Une centaine d’heures de projection.
Projections
Si chaque village et chaque projection furent uniques, il est tout de même possible de présenter grosso modo comment la tournée s’est déroulée. De manière générale, j’organisais premièrement une projection dans l’école avec l’aide des enseignants. Ayant obtenu une lettre d’autorisation de la part du ministère de l’Education à Gangtok, je n’ai rencontré aucune difficulté à projeter des films au sein des établissements scolaires. Selon la configuration des écoles, la transformation d’une salle de classe en salle de cinéma pouvait prendre plus ou moins de temps. La part la plus importante étant de faire de cette salle une salle obscure. Si quelques écoles étaient munies de volets, la grande majorité ne l’était pas. Il s’agissait alors d’obstruer les fenêtres avec les moyens du bord : tableau noir, rideaux, tissus en tout genre, pancartes…
Accrocher le drap blanc-écran n’était pas bien compliqué. Quant au matériel de projection, il était sorti et installé en deux temps trois mouvements. A ce moment, les enfants étaient déjà bien souvent amassés dans la salle de cours devenu cinéma. Selon les villages, des adultes, parents, voisins ou passants se joignaient à la projection.
Après cela, je séjournais habituellement pour la journée dans le village et y passais la nuit. J’ai toujours été hébergée sans difficulté dans les villages, soit par la famille d’un enseignant de l’école, dans la maison du panchayat (équivalent local du maire ou chef du village) ou encore chez un habitant. Avait alors parfois lieu une deuxième projection, nocturne cette fois, donc sans tracas concernant le degré d’obscurité. Cette projection avait lieu parfois de nouveau dans la salle de classe ou chez un habitant ou encore en plein air.
Une expérience de cinéma
Le Sikkim étant officiellement 100 % électrifié, la télévision est arrivée dans tous les villages, même lorsqu’il faut plusieurs heures de marche pour y accéder. Les routes carrossables mettent plus de temps à atteindre ces villages que l’électricité et la TV, en raison de la géographie particulière escarpée de la région.
Toutefois, les panneaux solaires visant à alimenter le vidéoprojecteur faisant partie de mon équipement ne sont pas révélés tout à fait inutiles, car si les villages sont électrifiés, les pannes de courant sont très répandues et peuvent se prolonger sur plusieurs jours. De plus, les écoles ne sont pas toujours desservies par l’électricité, contrairement aux habitations.
Ainsi bien que tous les foyers ne soient pas équipés de télévision, tous les Sikkimais rencontrés avaient déjà vu des films, car elle se trouve au moins dans chaque village visité. Toutefois, les projections de cinéma que j’organisais se sont avérées différentes du petit écran. Tout d’abord parce que c’était une expérience de cinéma : un grand écran, une projection dans le noir, un large public. Expérience qui était une première pour la grande majorité des spectateurs. Le Sikkim compte deux salles de cinéma, toutes deux à Gangtok la capitale. Puis, ayant constaté la présence de la télévision, j’ai opté pour des programmations originales. Il s’agissait de diffuser des films qui ne pourront être vu ailleurs, notamment pas à la télévision. J’ai ainsi mis de côté les films bollywoodiens et népalais, pour des productions plus rares. Un vieux documentaire sur le Sikkim du début des années 1970, réalisé par le cinéaste bengali Satyajit Ray a ainsi rencontré un très bon accueil. De même pour les documentaires de Dawa Lepcha et Anna Balikci réalisés dans une région du Nord du Sikkim, le Dzongu, où je me suis d’ailleurs rendue.
Box-office
Par ordre décroissant, les 10 films les plus projetés lors de la tournée
1. Home, documentaire de Yann Arthus-Bertrand, divisés en extraits d’une dizaine de minutes
2. The Adventurer, Charlie Chaplin
3. Sikkim, documentaire de Satyajit Rai, 1971
4. Microcosmos, extraits
5. Les singes qui veulent attraper la lune, dessin animé chinois de Zhou Keqin, extrait de la collection Impressions de montagnes et d’eau
6. The Rink, Charlie Chaplin
7. The Tramp, Charlie Chaplin
8. Cook, Buster Keaton
9. Tingvong, documentaire de Dawa Lepcha et Anna Balikci sur le village lepcha de Tingvong, North Sikkim
10. Les 3 moines, dessin animé chinois de Ah Da, extrait de la collection Impressions de montagnes et d’eau
Coup de dur ?
Mon voyage commença sous de très mauvais auspices. A peine arrivée à Delhi, mi-janvier, le vidéoprojecteur ne marchait plus !! Cassé lors du voyage en avion ? Le vidéoprojecteur montrait déjà d’étranges signes de faiblesse pour un objet flambant neuf avant mon départ en France. Suite à des péripéties, au cours desquelles la marque Optoma a fait preuve d’une grande incompétence, j’ai dû racheter un deuxième vidéoprojecteur en urgence. Une amie de Paris me l’a emmené jusqu’en Inde où elle me rejoignait pour quelques jours. La tournée a ainsi pu débuter comme prévu en février, avec un nouveau projecteur qui a heureusement tenu sans faillir.
Coup de cœur ?
Coup de cœur pour la région du Dzongu. Situé dans le district du Nord du Sikkim, j’ai pu y passer une grosse semaine en jouant avec les permis et les extensions de permis nécessaires pour y accéder. Zone réservée aux Lepchas, c’est une région particulièrement sauvage. C’est là que se trouvent les villages les plus reculés que j’ai pu visiter. Des rencontres aux paysages, en passant par les projections, ce furent parmi les jours les plus heureux de cette aventure.