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Mr muscle et moi : mon premier hôte du
voyage (à droite). Nous n’avons pas pu définir qui avait le plus de muscles.
Monastère Saint Mikhayil, Kiev.
Il dépend d’un patriarcat ukrainien et non plus russe. À l’indépendance, les
autorités locales ont encouragé l’église orthodoxe à se démarquer de la
tutelle de Moscou. Aujourd'hui, elle est toujours divisée
Sur les marchés ont achète des rameaux pour célébrer Pâques. Le pays possède
une forte minorité catholique héritée de l’époque où une partie du
territoire était polonais. Cette année la Pâques catholique et orthodoxe
coïncident. |
5 avril : le débarquement
Kiev
Cette
première chronique, j'ai commencé à l'imaginer une nuit, coincé dans le
couloir sombre d'un immeuble de Kiev. Voilà une dizaine de mois que je
rêvais de grands espaces, et me voilà quelques heures après mon arrivée
en Ukraine, seul devant une rangée de boîtes aux lettres défoncées,
avec un vélo cassé.
Un peu avant, j'avais compris les horizons de galères qui
m'attendraient, en réalisant que les trois heures et demi de retard de
mon avion (merci Ukraine Airlines !) me conduiraient à débarquer de
nuit au pays de Tchernobyl. Ce fut là une raison de plus pour
sympathiser avec mon voisin de vol francophile, qui me parlera d'un ami
"pouvant sûrement" me loger pour la nuit. L'ami en question ne semble
pas vraiment d'accord, si j'en crois, trois heures après, les résumés
de conversations téléphoniques que j'ai eus. Du coup, je poirote là en
attendant que Monsieur Faux Plans téléphone à tous les hôtels de mon
guide pour dénicher une nuit à moins de 15 dollars.
Rien en dessous de 50 dollars apprendrai-je plus tard. Heureusement,
entre temps, l'ami en question a débarqué dans son immeuble (car
j'étais dans son immeuble). Bras plein de muscles, tête pleine d'une
coiffure des années 70, ce catcheur amateur ne m'a pas rassuré quand il
est entré dans le couloir.
Contrairement aux premiers échos, ce Bac + 4 en économie sera pourtant
mon hôte. Ouf… Cette boule de muscles de 22 ans cache bien sûr un cœur
tendre comme tout. Derrière cet "habitué des clubs", ce roi de la
castagne des fins de soirées aux relents d'alcools, il y a un jeune
homme fragile. La preuve, le lendemain, il finira l'après-midi à dormir
comme un bébé dans la chambre de sa sœur après s'être enfilé une
bouteille de cognac à 40° durant une conversation sentimentale
téléphonique dont le sujet principal était la rupture. Costaud et
sensible, je suis entre de bonnes mains, rassurez-vous !
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Odessa a la particularité d’être connue
pour ses escaliers, immortalisés dans le film Le Cuirassé Potemkin.
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15 avril : La mafia ne m’en veut pas
Odessa L'Ukrainien
est devant un vélo comme une poule devant un couteau. Dès qu'il en voit
un, intrigué au volant de sa voiture, il klaxonne. Ça, c'est dans le
meilleur des cas. Le plus souvent, il fait comme s'il n'existait pas,
lui coupant la route quand il veut tourner, le frôlant dans les rues
étroites, etc. Du coup, aucun risque de vol : l’Ukrainien ne saurait
pas quoi faire de ce drôle d’engin pour enfants déviants. Pour
l’accrocher, depuis que je suis à Odessa (une ville où paraît-il la
mafia fait des ravages), je me contente donc d’une toute petite chaîne
ridicule qui ne permet même pas d'attacher la roue avant ! Dire qu’à
Paris, le bicycle disparaîtrait en moins de deux ! Je me méfie quand même car dans la
série "on fauche les trucs inutiles" je me suis fait piquer mes
antivols (sans leur clef, bien sûr) dans mon train entre Kiev et Odessa
! J'ai couru à travers toute la ville pour dénicher des cadenas
convenables. Un magasin de scooters (il y en a autant que de vélos) a
fini par me promettre pour demain, un U qui a l'air costaud. Mais tous
les virils employés rigolaient comme des baleines devant mes exigences
: "Comme s’il y avait des gens qui se baladaient avec des pinces pour
couper les chaînes". J'avais envie de leur dire que ça s'était déjà vu
à quelques heures d'avion d'ici, mais la plus longue phrase que m'ait
appris pour l'instant, ma méthode Assimil de russe est : "Est-ce que ta
sœur est mariée ?". Et je ne voulais pas passer à la leçon suivante
tout de suite.
Au passage, n'apprenez jamais l'ukrainien, ils parlent quasiment tous
russe ! Le gouvernement fait tout pour pousser les gens à parler la
langue nationale (on vient tout juste d'échapper à une loi obligeant
les pubs à être en ukrainien), mais ça ne prend pas, en particulier ici
au Sud. Il paraît qu'à l'Ouest et dans les villages profonds,
l'ukrainien est davantage la norme. Un premier paradoxe chez cette
nation que j'ai hâte de découvrir et de vous faire découvrir.
Nous quittons Odessa demain pour le début du voyage à vélo. Matthieu vient tout juste d'arriver.
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L’homme est minoritaire dans le pays et
Matthieu profite de ce succès.
Toutes les villageoises, ou presque, ont une ou plusieurs dents dorées. Les
dentistes se frottent les mains.
Perdus sur les petites routes, nous coupons par les pistes locales et Matt
finit par crever.
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21 avril
: un vent de chaleur
Kherson
Nous
avons quitté la Nationale pour tenter les petites routes pépères de
campagne. Entre Mykolaïv et Kherson, le soleil se couche sur ce village
de 3000 habitants au bord de la mer. Ici, les accrocs de la vodka
titubent dès 10 heures du mat'. Dans le pays, les hommes qui meurent
d'alcoolisme sont très nombreux et ils n'ont pas toujours 30 ans. Et je
peux vous dire que le déséquilibre démographique entre hommes et femmes
qui en découle, n'est pas que statistique : on le voit tous les jours
en minijupes et hauts talons dans les bars, les rues, les restaurants.
Ici, nous sommes du “genre” minoritaire, et je peux vous dire que
toutes les minorités du monde ne se sentent pas opprimées !
Dans le village, il y a aussi de bons gars, comme Sacha, qui passera
deux heures avec ses copains, sur l'axe cassé de la roue de Matthieu.
Il a vécu un an et demi au Portugal : nous communiquons donc en
portugais, une langue que je maîtrise à peu près aussi mal que le
russe. Il y a aussi les “babouchkas” qui viennent pauser sur nos
photos, toutes fières de parader devant de si beaux jeunes hommes et de
leur offrir un peu de vin en attendant que Sacha finisse ses soudures…
Leurs foulards (le port du voile n'est pas un débat national ici) sont
pleins de couleurs, comme les maisons et les tombes…
Et puis il y a la super famille modèle qui nous a accueillis pour la
nuit. Tous ont fait semblant de manger avec nous car ils sortaient
manifestement de table. La fille Katia parle un peu anglais, nous
commençons à nous débrouiller en russe. Tous les huit, nous avons
réussi à nous marrer entre leur vodka et le Bordeaux que nous avons
ramené. Le père à moustache passe ses journées entre son champs et ses
animaux (trois cochons, deux vaches, des poules…), la mère est instit'
dans le village et la fille entre l'année prochaine à la fac dans
l'espoir de devenir une businesswoman.
Bref, tout va bien pour nous dans cette ambiance chaleureuse. Sauf ce
vent atroce qui nous oblige à pédaler, même dans les descentes. Quatre
jours de vélo, les cuisses commencent à être douloureuses, les
irritations voient le jour. Matthieu a arrêté de fumer mais il compense
en faisant des pauses glace toutes les demi-heures !
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Une splendide métisse : moitié russe
moitié tatar. Les tatars sont une importante minorité de Crimée. Ils ont des
traits asiatiques.
Près de Sébastopol. Cette crique était un
lieu militaire stratégique sous l’URSS. Aujourd'hui, les yachts ont
remplacés quasiment tous les bâtiments militaires.
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26 avril : Le vin des bikers
Sébastopol
En
Crimée, quand on demande si le vin est d'Ukraine, on vous répond en
russe : "Non, il est d'ici". Il faut dire que cette petite presqu’île a
une forte autonomie et qu'il n'y a que 50 ans qu’elle est passée de la
Russie à l'Ukraine. Un rattachement qui se justifie assez bien
géographiquement, mais pour autant, les habitants ne se sentent pas
ukrainiens pour un sou. “Nous sommes russes !” clament-ils. Surtout ici
à Sébastopol, une ville où le “grand frère” maintient plein de navires
militaires et donc de marins. Alors, ne demandez pas à nos hôtes si
leur vin est ukrainien. Sans aucune haine, avec le plus grand naturel,
ils vous répondront que non !
Ces jeunes citadins qui nous accueillent, nous les avons trouvés sur le
bord de la route. À peine entrés dans Sébastopol, complètement cassés
par les premiers reliefs du voyage, nous sommes tombés sur un
groupement d'adolescents bikers en train de nourrir régulièrement
l'asphalte de leurs crachats et de faire des acrobaties. Nous marquons
un stop et leur montrons notre figure la plus impressionnante : garder
deux roues et deux pieds sur le bitume tout en se grattant le sourcil.
Est-ce grâce à cette performance extraordinaire que quelques heures
plus tard nous voilà chez un de leurs amis, beaucoup plus âgé (22 ans) ?
L'accueil est très chaleureux : lui et sa copine ressemblent aux
Français des villes que nous sommes. Ça fait du bien après un long
stage dans de petites localités ! Nous passons une journée avec eux à
visiter Sébastopol, une ville qui fit basculer le sort de la guerre de
Crimée, gagnée au milieu du 19ème par la France, l'Angleterre et la
Turquie au dépend de la Russie. Un des buts de Napoléon III était alors
de bien se faire voir des Turcs pour étendre son influence sur l'Orient.
La pause (la première du voyage !) sera courte. Demain, premières
étapes de montagne pour atteindre Yalta après-demain ! Ces quatre
derniers jours, nous avons aligné 450 kilomètres. Épuisant. Un peu
avant, nous nous sommes octroyés environ 150 km de car. Deux heures de
route valaient mieux que deux jours… Le vent était particulièrement
violent et nous avions un certain retard dans le planning.
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La belle Yalta, grande ville entre mer
et montagnes.
La statue de Lénine, à Yalta. Les
monuments communistes sont encore très nombreux dans le pays. Pour les
Ukrainiens, les faire disparaître voudrait dire qu’ils n’assumeraient pas
leur passé.
Il n’y aura pas souvent des photos de
moi vu que Matthieu m’a laissé seul. J’ai beaucoup bronzé des mains et du
visage, et ma musculature est plus impressionnante que jamais.
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2 mai : Trimer en Crimée
Feodossia
Matthieu
est parti vers d'autres cieux, m'indiquant regretter déjà cette terre
“où l'on se croirait dans un vidéo-clip” tant les femmes s'habillent de
façon aussi sobre que Bridney Spears. Notre première nuit après
Sébastopol s'est pourtant passée dans une ambiance pour le moins virile
(bien que sans alcool, à notre grande surprise). Nous avons dormi avec
les ouvriers d'un chantier. Ils sont nombreux ici à ériger des
immeubles au bord de la mer (c'était le cas des nôtres), à construire
des maisons, creuser des trous pour les reboucher un peu plus tard, ou
encore (et ce sont nos ouvriers préférés) à conduire de gros camions
sur les routes sinueuses… Dans un formidable tohu-bohu, on bétonne
tout. Les villes et leurs commerçants préparent la haute saison et les
riches leur retraite au soleil. Il faut dire que cette côte est
magnifique avec ses montagnes vertes et leurs vignobles plongeant dans
la mer. Yalta aussi
est en travaux, notamment sur les 200 mètres qui séparent la statue de
Lénine et le McDonald's (au fait, 200 mètres, ça fait combien en vies
brisées ou en espoirs retrouvés ?). Je me demandais ce que cachait ce
nom de Yalta qui émaillait mes cours d'histoire géo de Terminale. C'est
une assez grosse ville luxueuse de la côte. Nous sommes allés là où
furent élaborés les fameux accords éponymes après la seconde guerre
mondiale. Le Livadia Palace a été construit pour Nicolas II, mais il
n'a pu en profiter que quatre fois avant que les bolcheviks ne
l'assassinent avec sa femme et leurs cinq enfants (de 14 à 23 ans). Le
musée navigue donc entre famille royale et accords de paix. On
reconnaît certaines salles grâce aux photos d'archives à disposition.
D'un point de vue physique, je vis les pires heures du voyage. J'ai
aligné trois jours atroces de montagne après que Matthieu soit parti.
Je suis allé au bout de mes réserves physiques et
psychologiques…Dommage que moi seul me rende compte de mon exploit…
D'ailleurs, plus que jamais j'attends vos mails. Je ne peux pas
toujours répondre car les connexions sont lentes. Mais ça me fait du
bien de me sentir suivi !
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Dans ma famille Tatar, voici la fille
(à droite) et sa meilleure amie, une Russe… enfin une Ukrainienne
russophone… Si vous avez bien lu les autres chroniques, vous devriez
comprendre !
Traversée d’une zone marécageuse près
de la Mer d’Azov, une mer dans la Mer Noire… Au premier plan, la
traditionnelle et inévitable Lada.
Ancien grenier à blé de l’URSS,
l’Ukraine est toujours très bucolique. Les champs sont mon principal
paysage. Le drapeau de l’Ukraine (jaune en bas et bleu en haut) symbolise
d’ailleurs un champs de blé et le ciel !
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8 mai :
Tâter le Tatar
Mariupol
Je
ne voulais pas quitter la Crimée sans avoir approché ses Tatars, un
peuple aux traits asiatiques issu d'un mélange entre les Mongols (ils
dominaient la région vers le 12ème siècle) et la population locale
d'origine turque présente à l'époque. Et voilà que l'un d'eux arrête sa
Lada au bord de la route, intrigué par mon fanion "Odessa-Tachkent". Il
est 15 heures, j'ai les crocs : je m'invite chez lui. Les Tatars ont
longtemps été le seul peuple de Crimée. Ils y ont même eu leur
république (sous protection ottomane). Puis, à la fin des années 1770,
les Russes se sont emparés de la région et ont mené une politique de
colonisation et de destruction de leur culture. Les Tatars sont vite
devenus minoritaires. Sous l'ère communiste les phases de renaissance
culturelle ont ensuite succédé aux phases de persécutions. Après la
Seconde Guerre mondiale, ma famille, comme la plupart des Tatars de
Crimée, a été expulsée par Staline en Ouzbékistan (d'autres le furent
au Kazakhstan ou en Sibérie). Staline accusait le peuple de
“collaboration avec l'ennemi”. Beaucoup reviennent depuis 15 ans, dans
des conditions souvent très dures. Ma famille a fait son retour en
1988. Dans une petite échoppe, elle vend aujourd'hui les fleurs qu'elle
cultive. La petite, 13 ans et des yeux magnifiques, est donc née ici.
Elle parle un peu anglais et durant ma venue, n’a pas quitté d’une
semelle sa meilleure amie, une Russe.
Autour de la table, le père, la mère, la grand-mère, le frère et des
amis de la famille. Entre eux, ils parlent tantôt tatar, tantôt russe.
Rien dans leur intérieur ne vient rappeler leurs origines, ils sont
Musulmans mais leur Coran est en arabe et ils ne le comprennent pas, on
a trinqué à la vodka… Bref, seuls leurs traits asiatiques, leur
musique, quelques plats traditionnels (des pâtes à la viande, miam !)
semblent les rattacher réellement à une autre culture. Un peuple
peut-il longtemps exister ainsi ? Oui, puisque leur sentiment
identitaire a survécu à l'exil. Malgré l'absence de signes
ostentatoires, ils sont fiers comme tout d'être des "Tatars de Crimée".
Un racisme feutré est plus ou moins présent chez certains ukrainiens
slaves, mais il me semble assez limité par rapport à ce qu'aurait pu
provoquer le retour si massif de cette population. Les luttes
politiques qu'il y a pu avoir dans la région ces dernières années
n'intéressent pas ma famille qui vit tranquillement dans ce village
majoritairement russe. Je m'en vais donc heureux de cet échange, un
ballon offert par la petite accroché à mon guidon…
J'essaie de faire des chroniques courtes et intéressantes. Si je ne me
retenais pas, je vous raconterais mille autres anecdotes sur cette
rencontre ou sur le voyage… Mes nuits à planter ma tente "à l'arrache"
sont très agitées. Hier, logé à l'œil chez la patronne d'un bistrot,
dans une chambre partagée avec un homme juke-box et un barman, j'ai cru
que j'allais enfin trouver du repos … Pas de bol, la chef à l'habitude
de dormir avec la télé allumée toute la nuit ! Ajoutez à ça que je
commence à rêver en russe et vous comprendrez que, par moment, je ne
comprends vraiment plus rien à ce qui m'arrive.
J'ai déjà 1500 kilomètres dans les jambes depuis le début du voyage.
Une moyenne de 60 bornes par jour (effectuées aujourd'hui en grande
partie sous la pluie). Bref, les conditions physiques sont dures, mais
la chaleur des rencontres compense tout ça !
Pour continuer :
Chroniques de Russie |
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