Avant même d’être au Kazakhstan, les kazakhs sont nombreux dans les villages russes.
Les paysages marécageux formés par le delta de la Volga. Ils m’accompagnent un moment des deux côtés de
la frontière russo-kazakhe.
Ensuite, c’est le désert que je parcours pendant 300 km. Le moral est plutôt bas dans cette épreuve, surtout que l’état des routes me fait crever
deux fois alors que j’ai rendu mes chambres à air de secours à Thècle par erreur ! |
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7
juin
: Loin de tout, loin de tous
Atyraou
Fier d'étaler mon vocabulaire russe, je demande : “Ce sont des pommes de terre ?
- Non, ce sont des vaches” me répond ce bouvier, le premier kazakh à qui je parle.
La nuit tombe, je lui montre mon vélo et lui demande si je peux planter ma tente à côté de sa petite maison. Très vite, il me propose de dormir à l'intérieur. Mais d'abord, il doit
conduire les vaches plus loin, dans un coin de ce paysage marécageux où il semble être la seule âme qui vive.
J'attends. Il fait nuit quand il revient. Nous entrons dans sa petite maison en ciment. Dans le noir, j'entends une voix féminine. C'est sa femme. Elle allume une lampe à pétrole
et se met, assise par terre, à la petite table où nous mangerons. Elle ne parle pas russe et ne me regardera presque pas. La pièce n'a aucun meuble, il n'y a que les nattes sur
lesquelles nous nous asseyons, et la petite table basse. La dame sort du beurre, du lait, et des petits bouts de fromage séché. Tous ces produits dérivés de la vache, accompagnés
de pain et de thé au lait, composeront notre
seul repas du soir, puis du matin.
Comme beaucoup de retraités, mon hôte, ancien chauffeur de camion, a dû trouver ce travail pour compléter ses revenus. Certes il a une autre maison au village, là-bas, mais la
misère est bien là. Il ne s'en plaint même pas et aime son président, tout comme les derniers dirigeants de l'URSS (ça y est, j'ai trouvé quelqu'un qui aime bien Gorbi !), “même si
à l'époque, précise-t-il, On n’avait le droit qu’à une vache ou deux maximum”. Il se souvient avec plus d'amertume du temps de Brejnev, “où l'on avait même du mal à acheter du
pain”. Sait-il que sous le plancher des vaches, il y a des millions de dollars de pétrole ?
Je me couche vers 23 heures dans une pièce complètement vide. Le matin, vers 6 heures, le vieil homme me posera mille questions. “En France, on parle quelle langue, l'anglais ?
Karl Marx était français ? Quelle mer y a-t-il en France ? Y a-t-il des vaches là-bas?
- Oui, mais je n'en ai pas.
- Mais tu es jeune !”
La vieille dame va à la traite. Elle me regarde enfin pour me tendre des bouts de fromage pour la route. Je leur ai laissé mon jus d'abricots et le reste de pain aux pop-corn que
j'avais sortis la veille.
Cela fait des années que je m'invite chez les gens simples de cette petite planète. Ils m'ont façonné et appris à me recentrer sur l'essentiel, sur le respect de son prochain.
C'est eux, je crois, qui m'ont rendu insensible à une grande partie des futilités du monde.
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Un des nombreux ouvriers non loin de Tingis
Accueil chez l’habitante
Même les routes goudronnées ne sont pas toujours en très bon état !
Un bœuf passe dans la cité
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17
juin : La traversée du désert
Beyneu Un si long silence qui s'explique par une traversée du désert, une vraie… Après avoir quitté mon bouvier, j'ai eu droit à quatre jours de steppe sous le
cagnard. Ai-je été victime de mirages ? Je ne sais pas, mais j'ai vu des chameaux là où je pensais voir la mer Caspienne. Celle-ci était, paraît-il, à quelques kilomètres de ma
route, mais sans accès par un chemin goudronné.
Épuisé à rechercher du ravitaillement sur les petites rues en terre de chaque village que je croisais, j'ai vite eu le moral dans les chaussettes (et mes chaussettes sentent
mauvais !). Était-ce vraiment le voyage dont j'avais rêvé ? Au milieu de cette traversée du désert morale, j'ai eu une apparition salvatrice, celle d'un routier polonais me
proposant de venir loger dans l'église catholique d'Atyraou, “la” grande ville au nord de la mer Caspienne. Je ne me suis pas fait prier… et suis même resté quatre jours auprès de
mes Pères polonais ! Parmi leurs fidèles, des étrangers qui sont de passage dans cette région qui regorge de pétrole, et des Kazakhs d'origine allemande ou polonaise, deux
minorités implantées dans la région depuis plusieurs siècles.
L'Église orthodoxe ne voit pas d'un très bon œil que les cathos s'intéressent à ces populations très “russifiées”,
mais pourtant sans passé orthodoxe.
Tous les citadins, d'une manière générale, parlent le russe au quotidien. Le kazakh, est surtout utilisé par les villageois, qui restent malgré tout bilingues. Du coup, dans les
écoles, la part des cours en russe et en kazakh varie d'un endroit à l'autre…
Après avoir retrouvé des forces, j'ai repris ma traversée du désert (qui n'était plus morale, cette fois). L'épreuve était devenue moins une corvée qu'un défi. Je voulais aller
aussi loin que possible à vélo, c'est-à-dire jusqu'à
Beyneu. Il s’agit d’un véritable exploit physique pour moi : j’ai eu des étapes d’une centaine de bornes sans villages et
surtout, quelques 130 kilomètres de piste ! Rien que ça !
Ici, on a du pétrole, mais on n’aurait pas idée de goudronner ses routes ! En passant la rivière Oural à
Atyrau, je n’ai pas fais que changer de continent, j’ai aussi changé de
planète. La preuve, la plupart des Kazakhs ne situent pas vraiment Odessa… Cela ne les empêche pas d’être très curieux et très accueillants. Ils me proposent sans problème de venir
loger chez eux : depuis une dizaine de jours, je n’ai passé qu’une nuit dans ma tente ou dans un hôtel !
Cette dernière nuit était à Tenguiz, à l'est de la mer Caspienne. En plein désert, une raffinerie et une ville sont sorties de terre il y a moins de vingt ans. Quasiment qu'en
préfabriqué, ce drôle d'endroit ressemble à un camps militaire où logent les nombreux ouvriers locaux et étrangers travaillant autour de la raffinerie.
Enfin, cette partie du trajet a aussi été marquée par des crevaisons à répétition sans doute dues à l'usure de mes pneus et au mauvais état des routes. Mais j'ai survécu à toutes
ces épreuves et elles prennent peu à peu la douce teinte du souvenir !
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J’ai eu droit à plus de 130 kilomètres de pistes. Je me suis cassé la gueule une fois. La difficulté est de faire la différence entre le sable mou et le sable dur. Les camions
qui vous doublent et les tourbillons de poussières sont toujours des moments très sympathiques. J’ai évité de dormir seul dans la steppe pour cause de scorpions, serpents et
araignées.
La maman est russe, la papa est kazakh. Ce dernier, absent le jour de mon arrivée, s’est arrêté sur le bord de la
route pour me proposer de venir loger chez lui, dans ce tout petit village. Je l’atteignait le lendemain.
Avec mon hôte de Aktyrau. Elle travaille dans un salon de beauté. Comme dans toutes les villes, Kazakhs et Russes se
côtoient et se mélangent.
J’aime la Mer Caspienne car je l’ai méritée. Son eau est transparente, mais en ce moment, et pour un mois, elle est
très très froide.
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23 juin :
Mes Kazakhs et moi…
Aktaou
Mon hôte ne se demande pas quelle légitimité j'ai à m'installer plusieurs jours chez elle. Comme si j'étais un ami de longue date, cette Russe de 27 ans me fait
naturellement partager son appartement avec sa fille, sa mère et le compagnon de cette dernière. Pourtant, si je suis là, c'est juste parce que j'ai débarqué dans le garage où
travaille son beau-frère, à quelques centaines de kilomètres de là, pour demander à ce que l'on me garde mon vélo le temps d'un petit détour en train jusqu'à la mer. Et me voilà à
Aktaou avec cette jeune femme aux ongles maquillés de fleurs, et qui se pomponne pour la moindre sortie. Il faut dire que nous sommes dans un endroit branché…
Entre la mer et le désert, cette ville a fermé ses mines d'uranium pour devenir un haut lieu touristique local. Ce n'était pas gagné d’avance pour cet alignement d’immeubles sans
fin, où les rues n’ont même pas de nom et où les adresses ne sont que des suites de chiffres. J’habite au 11-1-45. Pas très poétique, mais qu’importe, je me sens bien ici. Je
prends des cours intensifs de russe et rééquilibre mon bronzage cycliste sur les bords de la Caspienne et de son eau transparente. J'ai prévenu mon hôte : je ne sais pas combien de
temps je vais rester…
Le Kazakhstan ne m'a décidément amené que de chaleureuses rencontres. J'ai aussi bien pénétré le quotidien des habitants des plus petits villages que des grandes villes. Il y eut
cette famille russo-kazakh où le fils écoutait Eminem et découvrait son nouvel ordinateur. Si proche de nous et pourtant si loin : pas une seule route goudronnée dans son village.
Il y eut cette dame chez qui j'ai atterri pour cause de vents trop violents. Elle aidait sa voisine, veuve depuis 40 jours, à préparer un repas pour cet anniversaire. Ici, on se
réunit 40, 100 jours, puis un an après la mort de quelqu'un. Je me suis fais tout petit et suis allé jouer avec les enfants… Il y eut ce technicien travaillant dans le pétrole et
qui a crée, grâce à son salaire, un café et un “salon” avec jacuzzi, sauna et billard dans un de ces petits villages du nord de la Caspienne. Et puis le beau-frère de Léna.
Provisoirement à Beyneu, minuscule ville-carrefour au milieu du désert. Les repas de cet homme au passé un peu trouble sont bien minces : une salade d'algues et du pain. Mais il
compte bien rebondir. Il sait qu'il y a un trésor dans le désert, à quelques centaines de kilomètres de là et il a déjà investi 2000 dollars dans un détecteur de métaux acheté à
Moscou.
Une vraie galerie de personnages que j'ai pu comprendre un peu grâce à mes progrès en russe. J'ai essayé de ne pas trop peser sur eux financièrement où de compenser ma présence par
quelques cadeaux. Grâce à eux, je garderai un beau souvenir du Kazakhstan malgré son désert, sa chaleur, ses routes. Dans un autre style, je vous signale une autre rencontre sympa
: deux Hollandais à vélo. Ils vont bien plus loin que moi et l'un d'eux roule depuis 25 ans !
C'est en train que je vais terminer ma traversée du désert, histoire d'éviter toute cette partie où, paraît-il, il n'y a même plus de routes et où les chauffeurs s'orientent grâce
à leur système GPS ou à l'étoile du Nord. Je me retrouverai ensuite en Ouzbékistan. Mon arrivée sans devise locale et avec mes lourds bagages m'inquiète déjà. Mais le plus dur
semble derrière moi…
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25 juin :
Dans ma famille kazakh, les Russes
Au bout de quatre jours dans ma famille kazakh, je commençais à me sentir chez moi. Un lit douillet, le câble, des cybercafés, des plages, des restos au bord de la Caspienne, des
marchands de glaces à tous les coins de rues (au sens strict du terme), une charmante professeur de russe… J'avais d'autant moins d'empressement à partir que je bénéficiais d'un
peu d'avance sur mon planning et de quelques nouveaux droits sur la télécommande. Toujours comme si j'étais un vieil ami de la famille, mes hôtes ont fini par me proposer un appart
pour moi tout seul pour la semaine suivante. J'ai refusé : j'ai encore des endroits “où personne ne part” à découvrir et à faire découvrir !
Mais cette petite semaine à vivre au rythme de cette famille m'a appris plein de choses : entre les pique-niques sur la plage et les nombreuses rencontres d'amis, j'ai fini par un
peu mieux décrypter les choses, même si j’ai rencontré assez peu de Kazakhs de souche.
Ma famille est d'origine russe, comme la plupart de ses amis. Certes, il y a un mélange entre les deux populations, certes les Kazakhs des villes sont très russifiés, mais malgré
tout, des différences et des frontières demeurent : le niveau de vie, les traditions, la religion (même s'ils sont peu pratiquants, les Kazakhs sont musulmans et les Russes
orthodoxes, ce qui ne simplifie pas les mariages mixtes !). D'ailleurs sur leur passeport, tous les Kazakhs ont inscrite, ce qu'ils appellent leur “nationalité”, mais qui est en
fait leur origine ethnique.
Les Kazakhs russes de souche que j'ai rencontrés, semblent se considérer comme un peu délaissés depuis l'indépendance du pays. Les Kazakhs ethniques ont connu une certaine
ascension sociale quand beaucoup de Russes ont préféré rejoindre la Russie. Ce qui semble gêner le plus ceux que j'ai rencontrés, c'est la manière dont la langue kazakh s'impose
aussi bien sur leurs papiers qu'au travail. Ils se plaignent des difficultés à trouver du boulot pour ceux qui ne parlent pas kazakh. Pendant combien de temps encore tout match de
foot diffusé à la télé sera-t-il commenté et en kazakh et en russe ? Imposer une seule langue au pays semble d'autant plus dur que les Kazakhs de souche ne représentent que 50 % de
la population du pays ! Les autres sont russes, ukrainiens, tatars, etc.
En tout cas, tout le monde fait la fête ensemble pour le nouvel an kazakh (en mars) et russe. Les Russes ne distinguent pas Noël de la nouvelle année, ce qui semble assez logique :
il est né le 25 décembre de quelle année ce brave Jésus ?
Sur cette question hautement philosophique, je vous laisse. J'espère que ceux qui partent en vacances n'oublieront pas complètement notre site. Et que les autres continueront à
voyager avec nous !
Pour continuer : Chroniques de l'Ouzbékistan
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